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Fatiha Benatsou

juin 17, 2009 Laisser un commentaire

Elle a poussé les portes de la République

Fille d’émigrés kabyles, Fatiha Benatsou a vécu une enfance difficile dans un bidonville d’Aulnay-sous-Bois. Son parcours exemplaire lui a valu d’être nommée préfète déléguée à l’égalité des chances pour le département du Val-d’Oise.

Ce 3 juin, Fatiha Benatsou était au volant de sa voiture quand elle a appris, par la radio, qu’une « nomination importante » avait eu lieu au Conseil des ministres ». Songeuse, elle s’est arrêtée pour téléphoner à son frère qui lui a confirmé qu’elle était bien la première préfète « issue de la diversité » nommée pour le département du Val-d’Oise. Pétrifiée et profondément émue, Fatiha Benatsou a tout de suite pensé à sa mère Djamila, décédée à l’âge de trente-deux ans, alors qu’elle n’avait que 14 ans. « Ce titre, je le lui dois. C’est elle qui m’a donné la force d’y croire. Elle m’a appris à être libre, à penser par moi-même et à ne jamais me résigner. Elle m’a toujours dit : « Vas à l’école et tu sortiras du bidonville. » Cette phrase m’a hanté toute ma vie. Devenir Préfet de la République est le plus bel hommage que je pouvais lui rendre » sourit cette belle brune devenue, à 52 ans, la première femme issue de l’immigration nommée à une fonction préfectorale. Sous la houlette du Ministère de l’Intérieur, elle travaille désormais aux côtés du Préfet du Val d’Oise, Paul-Henri Trollé.

Si Fatiha a la réussite modeste, son parcours force l’admiration. Dans un ouvrage sorti en février 2009, (Le Rêve de Djamila, Robert Laffont), elle a raconté avec une grande pudeur son enfance difficile dans un bidonville d’Aulnay-sous-Bois au nord de Paris. Elle y relate le taudis insalubre où elle a vécu avec ses parents, émigrés kabyles, et ses sept frères et soeurs entassés dans quinze mètres carrés. Entourée de sa grand-mère Aïcha, brutalisée aux yeux de tous par un mari alcoolique, et de sa mère Djamila, la petite fille juge cette soumission insupportable et se promet de ne jamais connaître une telle humiliation.  « Notre cité était entourée d’une grille qui s’ouvrait rarement sur le monde extérieur. Ma mère ne sortait de la maison que pour accoucher et elle a subi de plein fouet le milieu traditionnel. Un monde où les femmes n’avaient pas leur mot à dire. Elle savait que pour elle c’était fini, mais elle me répétait : grâce à l’école, tu seras une femme libreQuant à ma grand-mère, elle était soumise, mais je l’ai vue se libérer de son bourreau à la fin de sa vie. Cela m’a donné du courage. »

Et il lui en a fallu bien du courage pour s’opposer aux hommes de sa famille et rompre avec le poids des traditions. Retirée de l’école par son père à 14 ans pour s’occuper de ses sept frères et sœurs, elle parvient à reprendre ses études en cours du soir et obtient son Baccalauréat. À 18 ans, Fatiha se marie « pour l’honneur », mais trouve en cet époux compréhensif, la clé qui lui permet de s’émanciper de sa famille. « À 19 ans, enceinte de mon fils, j’ai réalisé que je voulais devenir quelqu’un et qu’il me fallait travailler dur pour y arriver. »

Fatiha multiplie les petits boulots avant d’intégrer la société informatique Bull. Une reconnaissance sociale qui ne l’éloigne pas des valeurs d’humanisme et de tolérance qui lui tiennent à cœur. « Après avoir travaillé plusieurs années dans des grandes entreprises, j’ai souhaité intégrer la Sonacotra, foyers pour travailleurs algériens migrants. J’ai ainsi pu renouer avec mes racines et devenir la voix de ses hommes déracinés. Au plus profond de moi, j’ai toujours eu envie de faire bouger les choses, cela m’a donc semblé normal de m’occuper de ceux qui en avaient le plus besoin. »

Convaincue que les études constituent le passeport pour une meilleure vie, Fatiha reprend ses études à 40 ans et intègre l’école polytechnique féminine où elle obtient un Master d’organisation des entreprises. En 2003, elle est remarquée par le ministre délégué aux anciens combattants, Hamlaoui Mekachera, qui la recrute dans son cabinet. Un poste qui lui permet d’œuvrer contre les discriminations des jeunes et de parrainer des associations féminines dans le 93, là où elle est née.

En 2004, sa nomination « inattendue » au Conseil économique et social, par Jacques Chirac, la remplit de fierté et lui permet de mesurer tout le chemin parcouru. Ses principaux chevaux de bataille concernent alors la lutte contre les injustices, l’exclusion, le droit des femmes et l’intégration.

Cette nomination toute fraîche en tant que préfète (elle tient à l’appellation) déléguée à l’égalité des chances dans le Val d’Oise, Fatiha la considère comme une chance de lutter contre les inégalités sociales. « Je vais aider les jeunes issus de quartiers sensibles, mais aussi les habitants des quartiers rurales qui ont des difficultés financières, d’emploi ou d’éloignement. Bref, tous ceux qui ont le sentiment que la République ne s’occupe pas d’eux. Je serai d’autant plus à leur écoute que je suis moi-même sortie de ces difficultés et que j’ai la légitimité d’intervenir auprès des institutions. Il ne s’agit pas de pleurer, mais d’agir concrètement. »

Loin de renier sa condition de « femme issue de l’immigration », elle n’entend pas être réduite uniquement à cela et met en avant ses compétences. « Je suis très fière de représenter la République. Un mot qui signifie pour moi liberté, égalité, fraternité. Ces valeurs fondamentales ont été créées par des hommes qui venaient de toutes les régions de France et qui ont unifié le pays. Je suis moi-même née en France et mes souvenirs sont ici. »

Fatiha Benatsou n’envisage pas le statut de Haut Fonctionnaire comme l’aboutissement de sa carrière, mais plutôt comme la suite d’un travail mené depuis trente ans sur les questions sociales, de citoyenneté et d’intégration. « J’espère modestement apporter mon expérience au sein de ce corps préfectoral et aider d’autres personnes à se dire : c’est possible. » Du reste, elle l’a déjà fait en organisant pour la première fois, le 5 mai dernier, les « Trophées de la Seconde chance ». Elle a ainsi récompensé des jeunes de 18 à 23 ans en situation d’échec scolaire, de rupture familiale qui ont aujourd’hui un emploi et une place dans la société.

Femme de terrain, Fatiha a déjà commencé son travail auprès de ceux qui construisent le Département : élus, institutions et associations.  Elle entend rester humble et privilégier la proximité avec la population. « J’ai réalisé le rêve de ma mère et j’ai transmis à mes deux enfants les valeurs d’humanisme et de tolérance chères à mon coeur. » Et de sourire : « On peut dire que j’ai pris l’escalier et non l’ascenseur pour arriver là où j’en suis ! » Son prochain rêve ? Créer un Ministère de la rencontre et de la confiance.

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Ounissa Yazid

avril 17, 2009 Laisser un commentaire

Le talent n’a pas de handicap

Présidente et fondatrice de l’association Handi-Art, elle mettra en scène, les 9 et 12 juin, « Mélancolie Jazz », une comédie musicale avec des personnes handicapées et valides.

C’est une femme pleine de vie qui nous reçoit au Théâtre du Gymnase à Paris. En pleine répétition de sa comédie musicale qui se jouera les 9 et 12 juin, Ounissa Yazid est heureuse d’arrêter sa course contre le temps pour expliquer son engagement. Cette belle brune originaire de Kabylie, porte ce projet depuis plusieurs mois et l’envisage comme une passerelle entre deux mondes. Bien plus qu’un spectacle, « Mélancolie Jazz » se veut un formidable message d’espoir envoyé aux Français à la veille de la Conférence Nationale du Handicap présidée par le Président Nicolas Sarkozy et dédiée à la question de l’emploi et des ressources des handicapés. Une date très attendue par les 265 000 handicapés sans emploi qui, pourtant reconnus aptes au travail, sont condamnés à vivre en dessous du seuil de pauvreté. « À mes yeux, il n’y a pas de différence entre valides et handicapés. Nous avons tous des petites différences, et le handicap en est une. Si la personne handicapée l’a dépassé, je ne vois pas pourquoi nous, nous devrions le lui rappeler. Pour ce spectacle, ils seront plus d’une vingtaine sur scène, valides comme handicapés : des acteurs, des chanteurs, des musiciens. Il y aura même un gospel en langue des signes ! Je refuse toute discrimination, il n’y aura donc pas que des personnes handicapées. Le talent n’a pas de handicap. »

Loin d’être misérabiliste, « Mélancolie Jazz » est une comédie très drôle. L’histoire ? Une jeune fille de santé fragile reste le plus clair de son temps enfermée dans sa  chambre, triste et seule. Sa tante, artiste de renommée, décide de lui rendre visite pour son  anniversaire. L’occasion de lui organiser une grande fête avec ses amis musiciens, danseurs et comédiens. Sa chambre est transformée en un véritable cabaret, le temps d’une soirée. En mettant en scène ce  spectacle, Ounissa Yazid souhaite faire connaître le talent d’artistes en  situation de handicap au grand public. « La meilleure intégration sociale passe par l’artistique car on exprime des choses et que l’on se rend compte que ces personnes handicapées jouent, chantent et dansent comme tout le monde. Ils se révèlent à eux-mêmes car ils existent. Ce spectacle, c’est avant tout une belle aventure humaine. »

La danse, Ounissa Yazid est tombée dedans quand elle était petite. Plus qu’une vocation, c’est sa raison d’être. À 13 ans, elle donne ses premiers cours aux amies de son quartier lyonnais et invente des chorégraphies musicales personnalisées. Très vite, elle développe une conscience accrue de son corps et comprend qu’elle peut l’utiliser pour exprimer des émotions. Plus tard, elle mène des travaux de recherche sur la danse et obtient des diplômes à la Sorbonne et à l’Université de Nanterre Paris X. En 1984, elle ouvre l’École de Danse et du Spectacle Studio 14 dans le quartier de la Défense à Paris. Dans ce cadre, elle  collabore avec la  mairie de Puteaux, de Courbevoie, de Vaucresson et  l’Établissement Public pour l’Aménagement de la Défense (EPAD) pour l’organisation de nombreux spectacles. Pionnière auprès du Ministère de la  Culture et de la délégation à la Danse pour la  reconnaissance de la Danse Jazz comme Art à part entière, elle organise une soirée événementielle avec les trois plus grandes compagnies de Danse Jazz  françaises dans le but de créer, en France, un Festival International de Danse Jazz : FIJAZZ.

Mais c’est un choc personnel qui la conduit à s’impliquer davantage aux côtés des handicapés : « En 1986, les médecins m’ont annoncé que mes deux petits garçons souffraient d’une maladie génétique. À l’adolescence, quand leur maladie s’est déclarée, j’ai découvert qu’il y avait deux monde : le monde des personnes handicapées et celui des valides. J’ai aussi découvert beaucoup de discrimination et de souffrance humaine. La danse m’a sauvé, elle a été ma thérapie. C’est ce qui m’a donné la force de surmonter ces épreuves. »

En 1997, elle crée l’association Handi-Art afin de faire connaître le talent d’artistes handicapés et multiplier les échanges entre personnes atteintes d’un  handicap  et personnes  valides  dans  le  cadre d’échanges sportifs, culturels et artistiques. « C’est grâce à mon fils aîné que l’association est née. Une année, il a fait un voyage au Vietnam avec son lycée et il a été bouleversé par les enfants vietnamiens handicapés démunis, réduit à se traîner par terre pour se déplacer. À son retour, il m’a convaincu d’y retourner pour apporter des fauteuils roulants et de l’appareillage médical à ces enfants. J’ai donc créé Handi-Art pour sensibiliser le plus de gens possible à tous les handicaps quels qu’ils soient. Contrairement à ce que l’on pense, cela peut arriver à n’importe qui. »

Depuis 20 ans, Ounissa organise de nombreux spectacles et événements pour promouvoir le talent d’artistes handicapés et valides. En 2005, elle est à l’initiative de la comédie musicale des « Hors la Loi » qui a remporté un franc succès au théâtre Marigny à Paris puis au festival européen Orphée à Versailles. Ce spectacle, réunissant six comédiens handicapés moteurs, un sourd et trois « valides », a été imaginée pour sensibiliser l’opinion aux clivages contre-performants qui peuvent subsister entre le monde du handicap et le reste de la société. Depuis ce beau succès, elle créé des spectacles où se mêlent artistes valides et handicapés et travaille à la création d’un centre artistique national pour artistes et créateurs handicapés. Et lorsqu’on lui demande comment elle enrôle ses acteurs, elle sourit : « Parfois, je les recrute dans la rue sur un coup de cœur. Certains n’ont jamais fait de scène, donc je les fais travailler. D’autres galèrent car on ne leur donne pas leur chance et pas de visibilité. Bien sûr, il faut qu’ils aient un potentiel artistique minimum. Dans « Mélancolie Jazz », ils utilisent leur corps, dansent en fauteuil, chantent et jouent la comédie. Rien de change d’un spectacle « normal » sauf que la chorégraphie se fait en fauteuil. »

Signe que les mentalités changent, l’œuvre est parrainée par quatre sociétés (Areva, Air France, Thalès et Crédit Agricole) qui ont signé des accords en faveur de l’emploi des personnes handicapées et qui se mobilisent pour changer l’image du handicap auprès des entreprises. Une initiative exceptionnelle qui prouve que l’art rassemble et permet de dépasser les préjugés pour ne retenir que le talent. Résolument optimiste, la chorégraphe admet que beaucoup de choses restent à faire pour changer le regard des gens sur les personnes handicapées. « Il y a 15 ans, quand j’ai voulu monter une comédie musicale, les directeurs de théâtre ne voulaient pas prendre le risque de programmer ce type de spectacle et me traitaient de folle. Pourtant, je sentais qu’il fallait bousculer les préjugés. Aujourd’hui Handi-Art est un choix de vie, un engagement total. D’autant que ce combat artistique rejoint celui que je mène au quotidien avec mes fils. Chaque jour est une aventure : trouver une école, stationner en voiture, accéder aux lieux de vie… Mais j’ai bon espoir, il y a des signes qui montrent que la société civile est prête au changement. » Toute en modestie, elle en oublierait presque de nous révéler que le Président de la République lui a remis la légion d’honneur, le 25 février dernier.

REPÈRES :

1984 : Création de l’Ecole de Danse et du Spectacle Studio 14

1997 : Fonde l’association Handi-Art

2002 : Spectacle  d’Ouverture  du  Programme  Parisien  pour  l’Année Européenne du Handicap 2003 au  Théâtre Silvia  Monfort, avec le  soutien de  la  mairie  de  Paris

2003 : Soirée de  clôture  de  l’Année  Européenne  du  Handicap  2003 à l’UNESCO.

2005-2007 : Comédie  musicale  Les  Hors  la  Loi  au  Théâtre  Marigny  Robert Hossein qui réunit six comédiens handicapés moteurs, un sourd et trois valides.

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Olivier Rey

mars 17, 2009 Laisser un commentaire

La foi du mathématicien

Chercheur au CNRS, professeur de mathématique à l’École Polytechnique et de philosophie à la Sorbonne, cet homme de savoir vit sa foi comme un long cheminement intérieur… et extérieur.

Rencontrer Olivier Rey c’est plonger dans l’histoire des religions, évoquer les philosophes grecs et s’interroger sur les mystères de la création du monde. Un puit de science qui n’accepte de parler de lui que pour mieux parler des sujets qui le préoccupent. Le dernier objet qui donne matière à sa réflexion ? L’orientation des poussettes pour enfant, thème de son dernier livre (Une folle solitude. Le fantasme de l’homme auto-construit, Seuil). En effet, jusque dans les années 1970, les enfants dans leurs poussettes étaient orientés face à l’adulte qui les promenait. À partir de cette période, on s’est mis à orienter les enfants vers l’avant. Loin d’être une plaisanterie, il s’agit pour l’auteur, à travers cette question, de nous entraîner dans une enquête passionnante au cœur du monde contemporain. « Ce petit fait, d’apparence anodine, m’a semblé révélateur d’un mouvement de grande ampleur : la promotion d’un individu n’héritant plus du passé, regardant d’emblée vers le futur et se construisant par lui-même. Or, sans racines, l’homme s’enfonce dans la barbarie. J’ai voulu retracer les origines de cette impasse, et trouver des solutions pour que soit préservé le terreau humain nécessaire à la formation de personnes libres. »

À 44 ans, Olivier Rey a suivi un parcours singulier. Porté par la logique scolaire, le jeune Nantais à une « révélation pour les mathématiques » en classes préparatoires aux grandes écoles. Après l’École Polytechnique, il obtient un doctorat de mathématiques, puis intègre le CNRS.  En parallèle, il se passionne pour la philosophie qu’il enseigne depuis quelques années à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Et lorsqu’on lui demande s’il n’y a pas un paradoxe entre ces deux domaines, il sourit : « La philosophie et les sciences ont été réunies jusqu’au Moyen-âge. C’est à l’époque moderne qu’il y a eu une scission. La philosophie a gardé l’ambition d’une compétence générale, quitte à ne pas avoir le même degré de certitude que la science qui, de son côté, ne peut produire un savoir sûr qu’en limitant son questionnement. »

Élevé dans une famille de tradition catholique mais opposée à la religion, Olivier Rey n’a pas reçu d’instruction religieuse. « Ma famille se disait athée, mais ma mère me lisait chaque soir des pages de la Bible. Une démarche très protestante ! Elle pensait que la religion avait eu un rôle structurant dans la culture européenne et qu’une connaissance des textes était nécessaire pour comprendre le monde dans lequel nous vivions. C’était la justification rationnelle qu’elle donnait à la transmission. J’avais 8 ans et je ne comprenais pas grand chose à l’histoire biblique, mais je pressentais malgré tout que ce texte s’adressait à moi et qu’il cherchait à me parler. »

Ce n’est que plus tard qu’Olivier Rey décide de revenir progressivement à la lecture de la Bible et au christianisme. « Je n’ai pas eu de conversion brutale pour la religion. Je dirai plutôt que c’est un long chemin qui n’est d’ailleurs pas encore achevé. Curieusement, c’est la lecture de Nietzsche, philosophe violemment anti-chrétien, qui m’a amené vers la religion. D’après Nietzsche, ce sont les principes chrétiens qui ont fini par tuer Dieu. Pour moi, ce sont les principes nietzschéens qui m’ont progressivement conduit, à travers l’étude des auteurs que lui-même avait lus, jusqu’aux Évangiles et à la tradition biblique ! » Le professeur reconnaît que la première familiarité qu’il a eu avec la Bible durant son enfance lui a incontestablement ouvert les portes de la spiritualité. « Les enjeux vitaux d’une personne résultent des questions qui ont été éveillées dans l’enfance ».

Lorsqu’on le sollicite sur Dieu, Olivier Rey répond sans tabou, mais il explique que la question n’est pas de savoir si Dieu existe ou non, mais s’il est présent ou absent. « De la même manière, la Grâce ne s’explique pas, c’est une chose sur laquelle l’homme n’a aucune maîtrise. Et plus on cherche à la maîtriser et moins ces moments surviennent. » S’il pratique la religion « en pointillé », Olivier Rey reconnaît que la Réforme, ce mouvement spirituel qui a profondément bouleversé l’église catholique, le touche intimement…même s’il avoue sa préférence pour le rite orthodoxe !

En cette période des préparatifs de Noël, le mathématicien avoue se sentir quelque peu extérieur aux rites religieux, faute d’y avoir été familiarisé durant son enfance : « Ces graines-là n’ont pas été semées ». C’est un regret. « Les rituels collectifs expriment le fait que le rapport à Dieu et le rapport aux autres vont de pair, sont intimement liés. » Même si dans le christianisme, les textes de références ne codifient pas un rite particulier, et insistent sur la disposition d’esprit davantage que sur les démonstrations extérieures. À l’emploi du mot « croyant », il préfère celui de « foi », plus intense et moins banalisé. « La foi a une dimension d’engagement personnel alors que la croyance est souvent envisagée comme quelque chose qui se constate. » Et d’assurer que moins on est prolixe sur sa relation à Dieu et mieux on se sent. « Le rapport à Dieu, c’est aussi faire l’expérience du silence. À certain moment, le langage est inadéquat. »

À la question de savoir si les mathématiques vont à l’encontre de la foi, Olivier Rey répond par la négative : « On oppose souvent le récit biblique à la science alors que ces deux domaines ne s’adressent pas aux mêmes facultés en nous. La science nous parle du rapport à l’objet quand la religion nous parle du rapport au sujet. Cette controverse est un peu ridicule. D’autant que l’on ne peut pas se construire uniquement grâce à la pensée scientifique, il faut d’abord passer par d’autres récits nécessaires à la construction de l’adulte. » Le professeur s’érige contre cet affrontement entre deux camps, la science et la religion, cette dernière ayant actuellement tendance à être vécue sur le mode purement émotionnel de l’effusion.

Et Olivier Rey de rappeler que l’on doit vivre sa relation à Dieu avant tout dans la non maîtrise et dans son rapport à autrui. Un homme pour qui la foi ouvre aux autres : « La fraternité repose sur le fait que nous avons tous le même Père ».

REPÈRES

1964 Naissance à Nantes

1983 Entre à l’École Polytechnique

1989 Doctorat de mathématiques. Il entre au CNRS

1991 Enseigne les mathématiques à l’École Polytechnique

1994 Le Bleu du sang (roman, Flammarion)

2003 Itinéraire de l’égarement – Du rôle de la science dans l’absurdité contemporaine (Seuil)

2005 Enseigne la philosophie à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

2006 Une folle solitude. Le fantasme de l’homme auto-construit (Seuil)

Catégories :Portraits, Réforme

Mireille Marachin

mars 17, 2009 Laisser un commentaire

Des livres pour soigner les maux

Cachée par des Protestants pendant la seconde guerre mondiale, cette ancienne libraire milite au sein de l’association Yad Layeled France. Elle est l’une des trois Françaises dont l’histoire est racontée dans la bande dessinée Les Enfants sauvés, Huit histoires de survie.

Mireille Marachin nous reçoit chez elle dans un îlot de verdure niché en plein cœur du quatorzième arrondissement de Paris. Ce qui frappe d’emblée, c’est la place faite aux livres : neufs ou anciens, ce sont eux les véritables trésors de la pièce, même si des tableaux ornent les murs. Et c’est avec un plaisir non dissimulé que l’hôtesse nous montre l’endroit où elle conserve précieusement les premiers livres achetés pour fêter leur retour dans la capitale après des années d’exode et de privations. « C’est l’un des plus beaux souvenirs de ma vie. Le premier dimanche où nous sommes revenus, nous sommes allés voir les bouquinistes sur les quais. Mon père m’a dit : « achète tous les livres que tu veux ». J’ai donc choisi Molière et Shakespeare. Pour lui, comme pour les Juifs en général, le livre, c’était sacré. Il m’a toujours encouragé dans la voie de la lecture ».

Cet amour des livres, Mireille l’a longtemps gardé secret avant de s’autoriser à devenir libraire. Et quand l’association Yad Layeled France lui a proposé de raconter son histoire dans la bande dessinée Les Enfants sauvés, Huit histoires de survie, elle n’a pas hésité.  « Je fais partie du bureau de l’association depuis dix ans. J’ai participé à de nombreuses interventions dans des écoles primaires et des collèges pour raconter mon histoire d’enfant caché. Lorsque l’on m’a soumis l’idée,  j’étais convaincue car je soutiens tout projet qui peut faire comprendre aux enfants ce que nous avons vécu pendant la guerre. »

Mireille Marachin, née Gluckman, est la première Française de la famille. Son père      qui fuyait les pogroms de Galicie à 14 ans est arrivé dans la capitale où il tombe  amoureux de la ville lumière…et de sa mère, qui venait de Cracovie. En 1940, la  famille ne se fait pas recenser au commissariat, comme l’impose le statut des juifs, et se retrouve sur les routes de France en partance pour la zone libre. Commence alors quatre ans d’exode où Mireille s’acclimate comme elle peut à sa nouvelle vie faite de silence et de secrets. Jusqu’en 1942, elle est cachée tour à tour chez un fermier, dans une école religieuse, un orphelinat et chez les bonnes sœurs. « Les sœurs ont accepté de me cacher pendant quelque temps, puis un jour elles m’ont dit qu’elles me garderaient seulement si j’acceptais de me faire baptiser. Du haut de mes 7 ans, je ne voyais pas qu’elle mal il y avait à être juive. Et je leur ai dit qu’il n’en était pas question ! »

Retour dans la clandestinité à Pau sous le nom de Mireille Denoyel où la petite fille est cachée chez un Juste dont elle apprendra plus tard qu’il fut un grand chef de la Résistance.  « Dès l’âge de 7 ans, je n’ai pas vécu une enfance normale. Je n’avais pas peur, mais j’avais faim et froid. Et puis, j’étais triste d’être séparée de mes parents, même si je savais qu’ils prenaient de mes nouvelles et qu’ils se cachaient dans la même région que moi. »

À la fin de l’année 1943, les parents de Mireille habitent à Jurançon dans une maison prêtée par des Protestants. Ils y vivent portes et fenêtres fermés. Et lorsque sa mère accouche d’une petite sœur, elle fait venir Mireille pour qu’elle berce le nourrisson. C’est là, toute à son bonheur d’avoir retrouvé sa famille, qu’elle découvre la lecture. « Je berçais ma sœur dans un grand salon où trônaient deux bibliothèques. J’ai donc dévoré Balzac, Hugo, Alexandre Dumas… »

Après la libération, la famille retourne à Paris et c’est en parcourant les quais que son père lui offre des livres, comme pour marquer leur retour à la vie. Un retour difficile pour Mireille en proie à des traumatismes moraux et physiques dus à la guerre et à ses non dits. Elle passe une licence d’anglais puis une maîtrise de lettres, mais se voit contrainte de reprendre l’entreprise familiale de textile. C’est trente ans plus tard qu’elle osera enfin concrétiser son rêve en achetant une librairie dans le quartier latin.

Son amour infini des mots, elle l’a transmis à sa clientèle mais aussi à ses filles, l’une est libraire et l’autre correctrice pour des maisons d’éditions. Quant à a connaissance de la langue française, Mireille la fait partager aux plus défavorisés  Au Casdal 14, un centre d’animation social parisien où elle donne des cours d’alphabétisation, et anime un atelier d’écriture. L’ancienne libraire organise également tous les deux ans via l’association qu’elle a créé une série de manifestations pour la promotion de la lecture dans le 14e arrondissement. Son nom ? La fureur de lire.

REPÈRES

1935 : naissance à Paris.

1940 : exode avec sa famille sur les routes de France.

1943 : cachée à Jurançon dans une maison prêtée par des Protestants.

1950 : Licence d’Anglais

1971 : reprend la société de textile de son père.

1976 : Directrice des Ressources Humaines chez Lalique.

1988 : achète une libraire rue Monge.

1998 : S’engage aux côtés de Yad Layeled France

 

Une bande dessinée pour transmettre l’Histoire

Les Enfants sauvés, huit histoires de survie (Editions Delcourt) relate le parcours de ceux qui, aux quatre coins de l’Europe, ont survécu grâce aux Justes. Cinq des huit témoignages qui composent cet ouvrage proviennent de l’exposition Sur les traces d’une photo présentée depuis 2005 au Musée-Mémorial Yad Layeled. Les autres sont issus d’un DVD proposé par Yad Layeled France. L’ouvrage est préfacé par Simone Veil, présidente d’honneur de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et Tomi Ungerer, l’un des plus grands illustrateurs contemporains. Il s’achève sur un dossier comportant des repères historiques et bibliographiques et un glossaire rédigés par l’historienne Katy Hazan.

Yad Layeled France a été créé en 1997 pour faire connaître les actions de « Beit Lohamei Haghetaot-Yad Layeled », la Maison des combattants des ghettos créée en 1947 par les rescapés du ghetto de Varsovie. La pédagogie de Yad Layeled France est fondée sur le souci de montrer aux jeunes la dimension universelle de l’histoire de la Shoah. Sa mission : faire circuler en France l’exposition itinérante Sur les traces d’une photo, organiser un séminaire annuel pour enseignants, éducateurs et étudiants francophones et diffuser sa mallette pédagogique destinée aux élèves de CM2, 6e et 5e. Elle est composée d’un livret de présentation, d’un DVD, d’un recueil de textes choisis et de 135 fiches photos et signets.

Yad Layeled France : 46 rue Raffet 75016 Paris. Tél : 01 45 24 20 36 info@yadlayeled.org / www.yadlayeled.org

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Marie-Françoise Lubeth

mars 17, 2009 Laisser un commentaire

Par la grâce de l’Évangile

Médecin dans le service de chirurgie-obstétrique du Centre Hospitalier de Tourcoing, cette ancienne athlète raconte, dans un livre poignant, son parcours atypique et sa rencontre avec Jésus-Christ.

Avec ses yeux qui pétillent et son sourire malicieux, Marie-Françoise Lubeth respire la joie de vivre. Cette belle femme à la quarantaine épanouie ouvre son coeur avec bonheur et ne cache rien de ses erreurs passées. Pourtant, si elle se raconte sans fard dans un livre, c’est moins par narcissisme que pour partager son expérience divine et sa foi en Jésus-Christ. Son témoignage est avant tout un hommage à Dieu. À la voir si rayonnante, on en oublierait presque que Marie-Françoise Lubeth est une miraculée de la vie. Une femme qui malgré les épreuves s’est toujours relevée et qui, grâce à sa foi, a trouvé les ressources nécessaires pour affronter les accidents de la vie. « Petite, je n’en avais pas conscience, mais j’avais quand même un peu la foi. J’allais à l’aumônerie du lycée où je me sentais à mon aise. Le jeune prêtre nous proposait des activités intéressantes : débats, théâtre, discussions… Pourtant, si paradoxale que cela puisse paraître, je crois bien que c’est à l’aumônerie que j’ai perdu la foi. Dieu était relégué au second plan. Rien ne nous donnait envie d’aller plus loin, de vivre plus intensément, de chercher des réponses à nos questions les plus intimes. » C’est bien plus tard que Marie-Françoise se tournera vers Dieu et mettra ses pas dans ceux de Jésus-Christ.

Originaire de la cité des Biscottes en banlieue lilloise, Marie-Françoise Lubeth est issue d’une famille antillaise catholique. Deuxième d’une lignée de quatre enfants, elle souffre de voir sa mère quémander de l’argent à son père, attaché de préfecture mais qui dépense son salaire aux courses de chevaux. Du coup, elle vit comme un traumatisme les allers-retours de sa mère au Mont-de-piété où elle obtient, contre des objets de valeur, quelques billets pour nourrir sa famille. « Cette expérience douloureuse a conditionné mon rapport à l’argent et à la possession. L’amélioration progressive de mes conditions de vie m’apparaît comme une revanche sur cette période », assure-t-elle. Marquée par cette enfance étrangement défavorisée, Marie-Françoise avoue posséder aujourd’hui plus de 60 paires de chaussures ! Et si elle est devenue une «  victime de la mode », elle a toujours comme réflexe d’aller dans les solderies dénicher les bonnes affaires.

Très tôt, elle fait sienne l’oracle de sa mère qui lui affirme avec sévérité : « Travaille toujours bien et ne dépend jamais d’un homme. » Dans cette cité des Biscottes du Nord de la France, la petite fille aux allures de chipie souffre d’être la seule fille noire dans sa classe au lycée et comprend que pour se distinguer, il faudra briller par le travail. « La première explication de mes bons résultats scolaires, c’est ma soif de liberté. Pour éviter de devoir faire ce que je n’aimais pas faire, je devais être en tête de classe. Pour autant, cette belle médaille avait un revers : on ne me félicitait jamais pour mes bonnes notes. »

À 18 ans, pour écarter les murs de sa maison qui l’étouffent, Marie-Françoise s’inscrit au club d’athlétisme local et trouve dans le sport une école la vie. Le Bac scientifique en poche avec la mention Bien, elle commence des études de médecine et participe parallèlement à des compétitions sportives interrégionales. Sa discipline reine : la course du 100 mètres. Obligée de jongler entre petits boulots, stages à l’hôpital et compétitions, elle mène sa vie tambour battant, sans l’aide de son père qui lui refuse toute assistance financière. En 1984, après être montée sur le podium des championnats de France d’athlétisme, la « Gazelle noire des Biscottes » (dixit les journalistes locaux), est sélectionnée pour participer aux Jeux Olympiques de Los Angeles de 1984. Folle de joie en apprenant la nouvelle, elle doit faire face, une fois sur place, à l’hostilité des responsables nationaux de l’athlétisme. Privée de courses pour des raisons obscures, Marie-Françoise pleure ce rendez-vous manqué avec l’Histoire. Et si elle met fin à sa carrière sportive dès la fin des Jeux, elle rend grâce à Dieu de lui avoir donné la chance d’avoir vécu cette expérience américaine.

À son retour des JO, Marie-Françoise s’inscrit en Internat et donne naissance à son premier enfant. Mais c’est au lendemain de la mort de sa mère des suites d’un cancer du sein que survient sa rencontre avec la Parole de Dieu et Jésus-Christ. « Un jour, j’ai retrouvé une amie de la famille qui m’a invité à la fête de noël de l’Église évangélique dont elle était membre et qui appartient au groupe des Assemblées de Dieu. À première vue, cette première expérience ne m’a pas incité à revenir sur ma décision de fermer la porte aux questions religieusesPourtant, loin de se décourager, mon amie missionnaire m’a conseillé de suivre les pas de Jésus. »

Le déclic se produit un soir du printemps 1991 à la lecture de la Bible : Marie-Françoise s’adresse à Dieu directement et lui indique son désir de le connaître. Alors même qu’elle doit affronter des problèmes graves dans son couple, elle se plonge à corps perdu dans la lecture des Évangiles. « Lorsque j’étais en pleine détresse et que mes larmes coulaient, je ressentais une paix intérieure. Un peu comme si Dieu me prenait dans ses bras et  me consolaitJe n’étais plus seule. » Dès lors, Marie-Françoise expérimente l’amour de Dieu dans sa vie quotidienne et commence à apprendre la Bible par cœur. Un « chemin de résurrection » semé d’embûche, mais qui la pousse à consacrer sa vie à Christ et à recevoir le baptême au sein del’Église évangélique. « Je ne suis pas entrée en religion au sens où le conformisme social l’entend. La foi en Jésus-Christ est pour moi un code de vie, un cheminement avec Dieu. Certes, j’appartiens à la famille des Protestants, mais ce qui me guide avant tout, c’est ma croyance en Christ. » souligne-t-elle. Et si elle récuse le terme de mystique, elle reconnaît avoir déjà assisté à des manifestations divines dans sa vie quotidienne : « Le seul fait de me réveiller vivante tous les matins est un miracle en soi. » Même dans sa vie professionnelle, elle parvient à concilier sa foi avec l’exercice de son métier : « Quant on est chirurgien, il vaut mieux être croyant car on réalise que nous sommes tout petit face à cette force supérieure qui fait tourner l’univers. Le fait de suivre le chemin de Jésus me donne une dimension supplémentaire pour m’adresser aux patients et les écouterCela m’aide aussi à trouver les mots justes quand il faut leur annoncer des mauvaises nouvelles. Depuis ma conversion, ma vie a changé du tout au tout. » Et c’est sans tabou qu’elle évoque son propre cancer du sein, diagnostiqué en 2004. Une maladie qu’elle a pu moralement surmonter grâce à la lecture des écritures saintes.

Être une femme de service et d’engagement, c’est ainsi que Marie-Françoise conçoit  le fait d’être chrétien et c’est pour cela qu’elle a accepté en 2000 de devenirSecrétaire générale de la CEAF (communauté des Églises d’expressions africaines de France). Cette association, créée en 2000, représente une tendance de fond du protestantisme français, à savoir l’influence grandissante des églises d’origines étrangère et de sensibilité évangélique et/ou pentecôtiste. « La CEAF est une union d’Églises de confession protestante dont la particularité est d’être, pour la plupart, dirigés par des pasteurs d’origine africaine et de proposer des services liturgiques animés à la façon afro-antillaise, c’est-à-dire rythmée avec de fortes percussionsLa louange y tient la première place et s’accompagne souvent de prières à voix haute qui peuvent paraître surprenantes, mais correspondent à la mentalité africaine…et à ce que Dieu nous demande dans la Bible. » Pendant 7 ans, Marie-Françoise s’est passionnée pour ce travail : « Une de mes plus grandes fiertés est d’avoir prouvé que les femmes ont toute leur place dans l’Église » sourit-elle. Et d’ajouter avec humour que, selon elle, la femme a été libérée par Jésus-Christ.

REPÈRES :

1984 : Elle participe aux Jeux Olympiques de Los Angeles

1991 : Rencontre avec Jésus-Christ et conversion à l’Église évangélique

1994 : Elle entre dans le service de chirurgie-obstétrique du CH de Tourcoing

2000 : Elle est nommée Secrétaire générale de la Communauté des Églises d’expressions africaines de France (CEAF)

2007 : Fin de son mandat à la CEAF

À LIRE : Sprinteuse de Dieu, Presses de la Renaissance, 2008.

Catégories :Portraits, Réforme

Laurent Marzec

mars 17, 2009 1 commentaire

À l’assaut des montagnes

Trétraparésique depuis l’âge de 16 ans, Laurent Marzec a réussi à transcender son handicap en traversant les Pyrénées en tricycle à traction manuelle. Il a fondé l’association Raid Nature Handicap.

Dans son regard mutin perce la volonté et la joie de vivre. Laurent Marzec revendique ce côté espiègle qui lui a permis de croire en lui et de dépasser son handicap. « Il m’a fallu du temps pour ne plus penser « comme » un handicapé dans un monde de valides, mais « en » handicapé, c’est-à-dire à ne plus voir le monde que d’après des impossibilités. Cette longue phase de reconstruction m’a permis de faire table rase du passé. Mon point d’horizon n’est plus mon corps d’avant. Je vis désormais comme si mon fauteuil avait toujours été ma réalité. »

Quinze ans ont passé depuis ce jour du mois de mai 1990 où, pour épater ses amis, Laurent réalise son « saut de l’ange » dans la Méditerranée. Un plongeon mal calculé qui lui vaut une paralysie du corps instantanée. « Je me souviens de chaque instant avec précision puisque je n’ai jamais perdu connaissance. Malgré la gravité de ma situation, je restais persuadé que j’allais retrouver l’usage de mes jambes et de mes mains. Pour autant, je me sentais responsable de la douleur causé à mes parents. » À cette douleur morale s’ajoute la souffrance physique, celle imposée par ce corps devenu étranger et par des examens médicaux qui pousse l’adolescent aux confins de son humanité. « À l’hôpital et au centre de rééducation de Berck, j’ai dépassé le cap de la douleur. Alfred de Musset dit très justement que « Nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert ». Dès l’âge de 16 ans, j’ai endurci mon esprit pour ne plus ressentir la douleur et j’ai perdu à la fois ma capacité d’émerveillement et ma naïveté. » Mais Laurent a aussi perdu sa virginité, celle dont parle Céline lorsqu’il affirme : « On est puceau de l’horreur comme on l’est de la volupté. »

C’est pour retrouver cette naïveté d’adolescent insouciant que Laurent se lance un défi depuis son lit d’hôpital : traverser les Pyrénées d’Est en Ouest en tricycle à traction manuelle. Un challenge qui va pourtant l’obséder pendant quinze ans : « En lançant ce projet fou, mon objectif d’abord était de libérer mes émotions car je m’étais construit une coquille très résistante. Je pensais qu’en me faisant mal volontairement et en subissant quelque chose de fort, j’allais briser cette carapace que je mettais forgée et qui m’emprisonnait. Mais je voulais aussi aller vers mon lieu de traumatisme et de renaissance, la Méditerranée et donc l’océan, symbole de maturité. Pour moi, ce projet était un objectif vers lequel il fallait tendre, mais ne jamais l’atteindre, parce qu’il me semblait impossible à réaliser. J’avais à l’esprit l’allégorie de la Pierre Philosophale, centre d’intérêt de l’alchimie, qui transforme le plomb en or et donc l’âme du profane en une âme d’initiée grâce à la connaissance. La chaîne des Pyrénées, c’était ma pierre philosophale. »

Si ce rêve Pyrénéen ne l’a pas quitté, Laurent l’a d’abord mis de côté pour apprivoiser ce corps dont il retrouve l’usage par « morceaux », mais aussi pour se lancer dans de longues études en biologie des écosystèmes marins. « Pendant onze ans, j’ai voulu me prouver que ma tête, à défaut d’avoir un corps comme tout le monde, fonctionnait correctement. Il n’y a pas de hasard dans le choix de l’océanographie. Au-delà de mon attirance pour le milieu marin, j’ai trouvé dans la biologie cellulaire une matière qui me parlait de ce handicap qui était en moi et qui était encore un intrus. En comprenant la place du vivant dans un écosystème, c’est ma place que j’ai tenté de trouver parmi mes semblables. »

Une prise de conscience qui permet à ce rêve pyrénéen de prendre vie en septembre 2004 sous la forme de l’association Raid Nature Handicap. Son but ? Promouvoir les activités physiques de pleine nature pour personnes handicapées et organiser des périples. Laurent décide d’arrêter sa thèse de doctorat pour se lancer à corps perdu dans cette mission impossible : traverser les Pyrénées depuis Sainte-Marie-la-Mer jusqu’à Saint-Jean-de-Luz, soit 680  km de route et 16 cols de la chaîne  pyrénéenne dont le célèbre « Tourmalet » à 2115 mètres d’altitude. Cette traversée n’est pas une course mais un ensemble d’épreuves à franchir. Dès lors, Laurent s’entoure de professionnels et accorde les grandes lignes de son projet à ses  possibilités. Adaptation du handbike à sa tétraplégie, entraînement sportif intensif pendant neuf mois (musculation, natation, endurance…). Il collabore aussi avec un laboratoire d’explorations fonctionnelles sportives qui réalise un suivi médical sur son état physiologique (pneumologie, cardiologie…) et biologique. Grâce à ces données suivies, il participe même à une étude consacrée à l’effort réalisé par un tétraparésique, et sa  récupération.

Accompagné de son cousin Sébastien qui le suit en vélo, Laurent se lance à l’assaut des Pyrénées le 1er mai 2005 : « Dès le premier tour de roue, j’ai ressenti une liberté intense. Je transcendais le temps et l’espace. C’était le premier instant de grâce dans cette aventure. » Pendant vingt-deux jours, il goûte aux joies du défi, mais aussi à la douleur physique et à la nécessaire récupération d’un sportif de haut niveau. Porté par un mental hors du commun, Laurent arrive plus tôt que prévu à Saint-Jean-de-Luz et savoure sa victoire face à l’océan. « Pendant quinze ans, j’ai contemplé le reflet dégradé de mon être au miroir de mes fantasmes. La traversée de cette chaîne de montagne, c’était l’inaccessible. Je faisais tout, dans mes rêves les plus fous, pour le rendre inaccessible. Et voilà que je venais de me surprendre moi-même, de me donner le salvateur crochet aux pattes pour le rendre réalité. »

Dès lors, ce qui devait être une fin devient le début d’une autre vie puisque Laurent se prépare à relever un nouveau défi en novembre prochain : traverser le désert Marocain en Handicycle tout terrain et sans assistance. « Il n’existe pas de VTT pour personne handicapée. Le but de cette aventure est donc de créer un prototype de vélo et de réaliser un périple de quinze jours jamais encore effectué. Je partirai de Ouarzazate pour arriver jusqu’à Zagora où nous serons accueillis par une association d’handicapés du sud du Maroc. » Laurent reconnaît que l’aspect sportif n’est qu’un prétexte pour rencontrer des gens et partager des émotions fortes. « Ces défis sont une façon de dire : Je suis un handicapé et je cultive ma différence. Voyez ce que je réalise. » Cette foi en ses capacités lui a permis faire tomber toutes les barrières, même invisibles.

Et si les Pyrénées ne lui ont pas permis de retrouver sa naïveté d’antan, Laurent a compris que la tolérance envers lui-même et l’amour des autres le guideraient, pas à pas, vers sa Pierre Philosophale intérieure.

REPÈRES :

28 Mai 1990 : Accident de plongée sur une plage de la Costa Brava en Espagne.

Septembre 2004 : Créé l’association Raid Nature Handicap.

1er au 22 Mai 2005 : Traverse les Pyrénées d’Est en Ouest en Handbike.

Novembre 2007 : Traversera le désert Marocain en Handicycle tout terrain.

À LIRE : À corps perdu. Du handicap à la reconquête de soi, Presses de la Renaissance, 2007.

À CONSULTER : www.rnh-asso.fr

Catégories :Portraits, Réforme

Claude Njiké-Bergeret

mars 16, 2009 Laisser un commentaire

Le choix de la liberté

Fille et petite fille de missionnaire, elle a choisi de vivre au Cameroun et d’épouser le chef de Bangangté. Elle raconte son aventure africaine.

« Pour vivre heureux, vivons cachés », ce pourrait être la devise de Claude Njiké-Bergeret qui vit au Cameroun sur la rive droite de la rivière Noun, à 25 km de la ville la plus proche Bangangté. C’est là, au coeur d’une végétation luxuriante, que cette camerounaise de cœur, s’épanouit et vit de la culture de céréales, d’arbres fruitiers, de riz et de palmier à huile. « Je ne prétends pas que ma façon de vivre soit bonne ou qu’elle soit un exemple, à suivre, elle est simplement celle qui me convient. Je n’impose rien à personne, mais j’aime ma liberté. Je choisis ma route en accord avec mes sentiments et mes pensées. Dans cette vallée où j’ai élu domicile, mon cœur bat au rythme du monde vivant qui m’entoure. Cette nature sauvage et envahissante est aussi généreuse et accueillante. Depuis 23 ans, je vis de la terre, avec un minimum de revenus. Pourtant, mon éducation m’avait préparé à vivre en ville. »

Claude Njiké-Bergeret ou l’histoire d’un coup de foudre pour un pays, le Cameroun. Une passion qui a commencé très tôt puisque Claude est née à Douala et y a grandi jusqu’à l’âge de 13 ans. Ses parents, pasteurs missionnaires avaient été envoyés en 1937 par la Mission de Paris, le Défap, dans le but d’évangéliser les peuples du pays bamiléké. Dans sa famille, on est pasteur de père en fils du côté paternel comme maternel et la place de la religion a toujours été très forte. À son retour en France, à l’âge de 13 ans, Claude grandit avec l’envie de devenir elle-même pasteur. Un désir qui s’émousse à l’adolescence face à la réalité d’une fonction qu’elle juge répétitive et trop rigide. Elle s’oriente finalement vers des études de philosophie et de géomorphologie, mais garde dans un coin de sa tête la vision de la terre où elle a grandi. Après huit ans de mariage et une vie à Aix-en-Provence Claude divorce et décide de partir, avec ses deux fils Serge et Laurent, au Cameroun en tant que missionnaire laïque pour le Défap. Là-bas, elle enseigne l’histoire, la géographie, l’instruction civique et le Français au collège protestant Elie Allégret à Mbo, près de Bafoussam. « J’ai pris l’avion en 1974 avec un contrat de travail de trois ans. Je n’ai jamais douté, à cette époque, que mon avenir ne puisse être ailleurs qu’en France et jamais je n’aurais imaginé que je pourrai mettre de côté toute mon éducation pour partir à la recherche de moi-même. »

Dès son arrivée, Claude retrouve « son » pays, sa langue et ses amies d’enfance, comme si elle ne les avait jamais quittées. L’année d’après, elle remplace ses parents à Bangangté. C’est là qu’elle tombe amoureuse du chef du village, François Njiké. Elle refuse ses avances pendant deux ans avant d’accepter de devenir sa femme. «  En m’installant au Palais, je suis devenue sa 26ème femme, mais ça ne me gênait pas car je connaissais les us et coutumes du pays. Au Cameroun, chaque femme a sa maison, ses champs et peut librement circuler où elle veut. C’est une autre façon de voir la vie. Mes parents n’ont jamais accepté ce mariage avec un homme polygame, eux qui avaient lutté toute leur vie contre la polygamie. C’était une négation de leur combat et de leurs convictions.» À tout juste 30 ans, elle est expulsée de la Mission sans préavis, accusée d’être « une honte pour l’église » et se retrouve sans revenus. « J’ai toujours su que j’étais au bon endroit. Mon amour pour le chef n’a fait que s’ajouter à celui que j’éprouvais bien avant pour la terre et le peuple Bangangté qui m’avait vue grandir. »

Quand on la questionne sur son rapport à Dieu, Claude privilégie l’honnêteté, au risque de susciter l’étonnement au regard de son éducation : « Je sais que je ne suis pas maître de mon destin et que je dépends d’un plan d’ensemble qui me dépasse. Mais je n’appelle pas cela Dieu. Et pourtant, j’ai foi en la vie puisque je rayonne et que rien ne m’inquiète dans la vie. Mais je trouverai ça déplacé de prier et de demander des choses. De même, je n’invoque jamais le nom de Jésus car…je ne l’ai pas connu moi-même et que cela ne représente rien pour moi  ! »

Claude reste neuf ans à la chefferie et élève les deux enfants qu’elle a eu avec le chef, Sophie et Rudolf. Totalement acceptée par ses coépouses et l’ensemble de la population, elle vit en symbiose avec sa famille d’adoption. Elle évoque avec respect et admiration le chef des Bangangté qui lui a tant appris. Mais elle reconnaît aussi que la vie n’a pas toujours été facile au contact d’un homme alcoolique et parfois brutal. À mots couverts, on comprend que les blessures psychologiques l’ont également abîmées.

Et puis un jour, sa vie bascule, son mari meurt brutalement. Très digne, elle tient compagnie à ses coépouses pendant la période du deuil, mais décide rapidement de quitter la chefferie et de s’installer « dans un deux pièces au bord du Noun », une manière très humoristique d’évoquer sa maison perdue en pleine brousse. Ainsi, tout en restant sur les terres conquises par les ancêtres de sa famille d’adoption, elle se détache du monde traditionnel bangangté. Une manière de rompre avec son passé récent. À 25 kilomètres de Banganté, au Nord-Ouest du Cameroun, elle construit sa ferme, cultivant maïs, arachides, maniocs, ignames, d’abord seule puis rejointe par ses enfants et de nombreux jeunes qui tentent de cultiver  ces terres vierges. Une houe sur l’épaule et une machette à la main, elle cherche chaque jour à vivre sur cette terre. « Ceux qui viennent me voir dans ma petite oasis doivent se dire que je vis dans une île déserte. On m’a souvent proposé de m’aider à développer ce coin de terre qui m’a pris le cœur. Mais j’avoue que la seule idée de dépendre d’un financement extérieur me donne le vertige. Je préfère vivre comme je peux avec ce que j’ai sous la main, même s’il m’arrive d’accepter les aides amicales et spontanées, comme un ordinateur par exemple ! »

Aujourd’hui, Claude vit au jour le jour en tenant compte des valeurs de la civilisation locale et ne cesse de s’émerveiller au contact de la terre. Avec une seule devise : « Agis d’un seul cœur ».

À LIRE : Agis d’un seul cœur, JC Lattes, 2009.

REPÈRE

1943 : Naissance à Douala au Cameroun

1956 : Retour en France

1974 : Retour au Cameroun comme Missionnaire pour le Defap

1978 : Mariage avec le chef François Njiké

1987 : Quitte la chefferie pour vivre sur les bords du Noun

Catégories :Portraits, Réforme

Alexandra Lavrilliers

août 17, 2008 Laisser un commentaire

Gardienne de la culture Evenk

Alexandra Lavrilliers a créé une école nomade pour offrir au peuple Evenk de Sibérie une éducation qui allie tradition et modernité. Elle a reçu le Prix Rolex à l’Esprit d’Entreprise.

D’aussi loin qu’elle se souvienne, Alexandra a toujours été fascinée par le Grand Nord et les espaces froids : « Dès l’âge de huit ans, je passais des heures au Musée de l’Homme à Paris devant les vitrines consacrées aux esquimaux, aux Inuits et aux peuples de Sibérie. J’avais envie de m’évader, mais aussi de mieux connaître ces populations extraordinaires capables de résister au froid et de s’adapter à des conditions de vie difficiles. » Cette passion enfantine ne va pas la quitter. Bac en poche, Alexandra passe une licence de Russe à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales) et découvre, à travers la littérature orale, les peuples du nord. Parallèlement, elle obtient son doctorat d’anthropologie au Centre d’études mongoles et sibériennes à Nanterre.

En 1994, à tout juste 24 ans, elle accompagne, en tant qu’interprète ethnologue, une expédition organisée par des photographes français. Pendant trois mois, elle sillonne le sud-est de la Sibérie où la culture Evenk est la mieux conservée : « Seuls 3% des Evenks sont nomades. Mais tous appartiennent à un village car ils doivent avoir un état civil. Il existe des dialectes transmis oralement et une norme écrite difficile à imposer et qui sert de langue officielle d’enseignement. C’est l’un des peuples qui bougent le plus car ils sont à la fois éleveurs et chasseurs de rennes. La vente de la Zibeline constitue d’ailleurs leur seul apport financier. » Après ce voyage initiatique, Alexandra multiplie les allers-retours entre la France et la Sibérie afin d’étudier les rituels collectifs des Evenks. « En vivant à la fois dans la taïga et dans des villages, j’ai réalisé que leur patrimoine culturel s’érodait au contact de la civilisation occidentale. L’une de leurs principales préoccupations concernait le système scolaire. En effet, dès l’âge de six ans, les enfants Evenks sont soustraits à leurs familles et sont envoyés en pensionnat dans les écoles russes du village  auxquels ils sont rattachés (cf encadré). Pour eux, c’est à la fois un choc psychologique et culturel. »

Une école itinérante

Déterminée à remédier à cette situation, elle crée l’association Sekalan (Arc-en-ciel) dont la principale vocation est la création d’une école nomade qui irait à la rencontre des enfants Evenks. Après plusieurs tentatives avortées, elle obtient, en février 2006, l’aval du Ministère de l’éducation russe et engage deux enseignants. Cette école itinérante est la première de la région à proposer, outre le programme scolaire classique, des matières spéciales sur la sauvegarde de la culture Evenk et l’accès à la littérature orale. « Nous offrons la possibilité à vingt enfants de recevoir un enseignement moderne, tout en assurant la transmission de leurs traditions ancestrales. Grâce aux enseignants, qui se déplacent de campements en campements, les jeunes Evenks restent au contact de leurs familles et apprennent  à pêcher et à s’occuper des rennes. »

Une initiative qui a séduit le jury du Prix Rolex à l’Esprit d’Entreprise décerné à des projets d’envergure mondiale. « Les 100 000 dollars reçus vont nous permettre de faire fonctionner l’école pendant au moins trois ans. Nous envisageons d’embaucher de nouveaux professeurs afin d’accueillir un plus grand nombre d’enfants, notamment ceux vivants dans les régions les plus reculées de la taïga. » Fière d’avoir réussi son pari, Alexandra a également commencé la rédaction d’un manuel de langue Evenk ainsi qu’un recueil sur leurs croyances et leurs traditions. Autant d’initiatives qui devraient permettre aux Evenks sédentarisés à travers la Russie de retrouver un peu de leurs racines.

Aujourd’hui, Alexandra vit le plus clair de son temps en Sibérie et ne cesse de s’émerveiller pour ce peuple vieux de trois siècles. Un coup de cœur qui s’est transformé en une belle histoire d’amour puisqu’elle est mariée à un Evenk et mère d’une petite fille.

Association franco-évenke Sekalan : 24 rue Vieille du Temple 75004 Paris. Tél : 01 42 71 03 83. Email : sekalan@club-internet.fr

Encadré : Les Evenks, un peuple nomade en perdition

La première mention connue des Evenks, chasseurs et éleveurs de rennes, remonte au XVIIe siècle lorsque l’Empire russe, en extension constante vers l’Est, arrive au contact de cette ethnie. À cette époque, le respect de la diversité culturelle n’est pas à l’ordre du jour. Au gré des siècles, le statut des Evenks ne va guère s’améliorer. Leurs coutumes animistes, où le chamanisme occupe une place de choix, n’ont pas grâce aux yeux de l’administration soviétique qui, par définition, se méfie de toutes les religions. Il faudra à ce peuple une volonté farouche, mais aussi du courage pour préserver, souvent dans le plus grand secret, ses croyances et ses traditions. Rien ne s’arrangera lorsque les autorités, à la fin des années 1960, décideront que les jeunes Evenks devront désormais suivre le cursus scolaire normal, quitte à ce qu’ils soient soustraits à leur famille et à la vie nomade, pour être envoyés, pour de long mois, année après année, dans des pensionnats d’État. Il faudra attendre la perestroïka et les bouleversements qui l’ont suivie pour que la Russie découvre la richesse de ses ethnies et de ses cultures. Elle s’efforce, depuis peu, de les réhabiliter. Comme une trentaine de minorités sibériennes, les Evenks ont reçu un statut spécial, une sorte d’autonomie qui tente de contribuer à un meilleur respect de leur identité, leurs croyances et leurs traditions. Pourtant, les moyens manquent encore pour réparer des siècles d’érosion culturelle.

Il reste actuellement 35 000 Evenks dans toute la Russie. La majorité d’entre eux a totalement renoncé au nomadisme. Ils ont ainsi quitté la taïga pour les bourgs et les villes et ont tout oublié des techniques ancestrales de chasse et de pêche. Le plus souvent, ces hommes et ces femmes se sont convertis à l’agriculture et deux tiers d’entre eux ne savent plus parler leur langue d’origine. Les conditions de vie de ces Evenks sédentarisés ne sont, la plupart du temps, guère enviables. Ils peinent à trouver une place dans la société russe moderne. Comme toutes les minorités sibériennes, ils souffrent du chômage bien plus que la moyenne des Russes et seul un nombre restreint d’entre eux atteint un niveau d’études supérieures. Ces parmi ces derniers que Alexandra Lavrillier est allée recruter les deux enseignants qui animent avec elle l’école nomade. Elle a dû déployer une grande énergie pour les convaincre de quitter leur vie sédentaire et de retourner à une vie nomade dans la rigueur des hivers sibériens. Elle confie d’ailleurs : « C’est uniquement parce que je connais parfaitement les Evenks nomades, leurs conditions de vie et le milieu dans lequel ils évoluent, que j’ai osé présenter en toute conscience cette école nomade comme un projet réalisable et viable. »

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Etienne Schlumberger

février 17, 2008 Laisser un commentaire

Un homme d’honneur

Après avoir intégré Polytechnique puis l’École du génie maritime, ce Protestant viscéralement anti-nazi s’engage, dès 1940, dans les Forces navales françaises libres. À 92 ans, il revient sur son engagement militaire.

Étienne Schlumberger ne tire aucune gloire de ses actes de bravoure durant la Seconde guerre mondiale. Sa modestie force l’admiration et, comme tous les hommes d’exception, il minimise ses faits d’armes pour les replacer dans un contexte historique plus général. Son engagement ? Rien de plus naturel. « Pour moi, le nazisme était inacceptable. Je ne pouvais pas faire autrement que de m’engager aux côtés des forces alliés. J’ai été placé dans des circonstances exceptionnelles, mais ça ne fait pas de moi un héros. Je n’ai pas fait ça pour avoir les honneurs, mais par principe. »

S’il a accepté d’écrire un livre*, c’est moins pour évoquer son parcours, que pour raconter l’histoire de la marine française durant cette période dramatique. Car pour cet ancien capitaine de vaisseau, le traumatisme reste vif face à l’attitude de l’amirauté qui s’est rangée à la victoire allemande sans prendre les armes. « Après la signature de l’armistice, tous les marins français postés à l’étranger ont reçu l’ordre de rentrer en France. C’est ce qu’a fait l’énorme majorité d’entre eux. Il m’a fallu du temps pour comprendre que, pour la marine, l’honneur c’est la discipline. Et la discipline dispense de la responsabilité. J’étais navré pour mon pays que des officiers gradés se comportent de la sorte. Mais pour moi, il n’en était pas question. J’ai donc quitté mon indiscipline de potache pour adopter une désobéissance réfléchie aux ordres étrangers à mon éthiqueMon intuition et mon passé familial m’ont dicté la voie : l’essentiel était de combattre l’Allemagne nazie

À tout juste 25 ans, Etienne Schlumberger, ingénieur à l’arsenal de Cherbourg, choisit de partir en Angleterre et rallier la France libre. Sur le moment, son choix n’inspire que mépris aux amiraux français. Il est d’ailleurs condamné par Vichy aux travaux forcés à perpétuité pour désertion et trahison. À Londres, il retrouve l’Amiral Émile Henry Muselier qui vient de créer les forces navalesfrançaises libres (FNFL). Nommé enseigne de vaisseau sur l’aviso Commandant-Dubosc, un bateau de 750 tonnes, il y rejoint « un équipage soudé par une volonté commune au service d’un pays qui a été dépouillé de son identité ». En novembre 1940, il est détaché auprès de l’amiral d’Argenlieu, commandant des FNFL en Afrique équatoriale française. Après avoir pris par à la campagne d’Érythrée contre les Italiens, il est chargé d’escorter des convois au moment où la bataille de l’Atlantique fait rage. En octobre 1941, il est à bord du dernier bateau de l’escorte d’un convoi de Gibraltar vers l’Angleterre. Il fait arrêter son aviso pour repêcher 70 marins dont le navire a été touché. Il sera alors sanctionné pour avoir désobéi à son supérieur.

Début 1942 il est désigné second du commandant Querville sur le sous-marin la Junon, opérant de nombreuses patrouilles dans les fjords norvégiens à partir de la base de Dundee. Le 15 septembre, il débarque des commandos pour détruire la centrale hydraulique de Glomfjord. Elle alimentait une usine d’aluminium importante pour l’industrie aéronautique allemande et une usine d’eau lourde, un constituant essentiel de la bombe atomique. Par la suite, il armera et équipera le sous-main Morse, cédé par les Anglais. C’est sur la Junon qu’Étienne Schlumberger a vécu les moments les plus intense de sa vie de marin : « Ce qui m’a le plus touché, c’est la fidélité de l’équipage composé de 45 hommes, tous volontaires. Aucun d’entre eux n’a jamais demandé à être débarqué pour revenir à terre, même dans les moments les plus difficiles. Lorsque l’on partait en patrouille, on avait une chance sur deux de ne pas revenir. Nous étions obligés d’être en plongée de jour afin de ne pas être repéré par les avions allemands et en surface la nuit pour mettre les moteurs en route et recharger les batteries. Vivre  à bord d’un sous-marin en mission, c’est respirer un air confiné, ne pas voir le ciel, sauf quelques minutes, se contorsionner pour passer un sas ou monter une échelle et manger et boire comme on peut. »

De retour à Alger en mai 1944, il retrouve des officiers de marine français qui ont rejoint les forces alliées par opportunisme. « Pour ces nostalgiques de Vichy, je reste un mercenaire à la solde des Anglais. Mes trois ans de combat sont complètement niés. L’apaisement et la réconciliation me sont refusés. » Bien plus, l’état-major lui impose un examen d’aptitude à la navigation. Comme si son expérience de près de vingt-huit mois comme commandant et sa confrontation à toutes les situations de tempêtes, de combats et de grenadage ne suffisaient pas ! « J’ai compris que ce simulacre d’examen visait à me rabaisser, moi l’officier de marine qui n’avait pas été formé et modelé par l’École navale, mais par le génie maritimeCertains m’ont même accusé d’être parti en Angleterre parce que j’avais peur. Ce à quoi j’ai répondu avec ironie : « Vous avez raison : j’ai d’abord été dans un escorteur où j’ai perdu 18 bateaux sur 22 et j’ai eu tellement peur qu’après je suis passé au sous-marin ! » Je ne peux ni oublier ni pardonner. »

Après la guerre, loin de tourner la page maritime, Etienne Schlumberger sera chargé du renseignement en Indochine, avant d’être nommé Directeur d’études à l’École navale. Une belle revanche pour celui qui n’en était pas issu : « À mon arrivée, j’ai eu droit à une pétition collective contre ma venue. Mais, en un an et demi, j’ai quant même réussi à transmettre mes valeurs. Comme ce jour où j’ai expliqué aux élèves qu’il fallait savoir désobéir. Offusqués, ils m’ont rétorqué : « Nous risquons d’être fusillés ». Ce à quoi j’ai répondu : « Rassurez vous, ça n’arrive qu’une fois ! » Cela avait horrifié l’État Major. » Rentré dans le civil à 38 ans, Etienne Schlumberger a travaillé dans l’univers des pétroliers jusqu’à sa retraite en 1975.

Quant on lui fait remarqué qu’il a risqué sa vie, le vieil homme sourit : « J’ai toujours su au fond de moi qu’il ne m’arriverait rien de grave. » Cette foi en sa destiné lui aura permis de traverser la guerre avec un sang-froid à toute épreuve. « Je suis persuadé qu’il y a quelque chose d’infiniment supérieur au-dessus de nous et qu’il est essentiel de bien se comporter vis-à-vis de cette force. Je suis fière, en bon Protestant, d’avoir agit selon ma conscience, en être humain libre et responsable.» Un homme juste.

 REPÈRES

20 mars 1915 : naissance.

19 Juin 1940 : rejoint Londres pour combattre les Allemands.

1er Juillet 1940 : création des Forces navales françaises libres

Septembre 1940- Décembre 1941 : campagnes africaines

Janvier 1942 : sous-marinier sur la Junon.

Décembre 1942 : les Anglais lui remettent la DSC (Distinguished Service Cross), l’équivalent de la Légion d’honneur.

Avril 1943 : Jugé par l’État Français de Vichy et condamné aux travaux forcés à perpétuité pour désertion et trahison.

30 mai 1944 : rentre à Alger

1945 : nommé Compagnon de la Libération

1947 : Directeur des études à l’École navale.

À LIRE : Les combats et l’honneur des Forces navales françaises libres (1940-1944), le cherche midi, 2007.

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