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Claude Njiké-Bergeret

Le choix de la liberté

Fille et petite fille de missionnaire, elle a choisi de vivre au Cameroun et d’épouser le chef de Bangangté. Elle raconte son aventure africaine.

« Pour vivre heureux, vivons cachés », ce pourrait être la devise de Claude Njiké-Bergeret qui vit au Cameroun sur la rive droite de la rivière Noun, à 25 km de la ville la plus proche Bangangté. C’est là, au coeur d’une végétation luxuriante, que cette camerounaise de cœur, s’épanouit et vit de la culture de céréales, d’arbres fruitiers, de riz et de palmier à huile. « Je ne prétends pas que ma façon de vivre soit bonne ou qu’elle soit un exemple, à suivre, elle est simplement celle qui me convient. Je n’impose rien à personne, mais j’aime ma liberté. Je choisis ma route en accord avec mes sentiments et mes pensées. Dans cette vallée où j’ai élu domicile, mon cœur bat au rythme du monde vivant qui m’entoure. Cette nature sauvage et envahissante est aussi généreuse et accueillante. Depuis 23 ans, je vis de la terre, avec un minimum de revenus. Pourtant, mon éducation m’avait préparé à vivre en ville. »

Claude Njiké-Bergeret ou l’histoire d’un coup de foudre pour un pays, le Cameroun. Une passion qui a commencé très tôt puisque Claude est née à Douala et y a grandi jusqu’à l’âge de 13 ans. Ses parents, pasteurs missionnaires avaient été envoyés en 1937 par la Mission de Paris, le Défap, dans le but d’évangéliser les peuples du pays bamiléké. Dans sa famille, on est pasteur de père en fils du côté paternel comme maternel et la place de la religion a toujours été très forte. À son retour en France, à l’âge de 13 ans, Claude grandit avec l’envie de devenir elle-même pasteur. Un désir qui s’émousse à l’adolescence face à la réalité d’une fonction qu’elle juge répétitive et trop rigide. Elle s’oriente finalement vers des études de philosophie et de géomorphologie, mais garde dans un coin de sa tête la vision de la terre où elle a grandi. Après huit ans de mariage et une vie à Aix-en-Provence Claude divorce et décide de partir, avec ses deux fils Serge et Laurent, au Cameroun en tant que missionnaire laïque pour le Défap. Là-bas, elle enseigne l’histoire, la géographie, l’instruction civique et le Français au collège protestant Elie Allégret à Mbo, près de Bafoussam. « J’ai pris l’avion en 1974 avec un contrat de travail de trois ans. Je n’ai jamais douté, à cette époque, que mon avenir ne puisse être ailleurs qu’en France et jamais je n’aurais imaginé que je pourrai mettre de côté toute mon éducation pour partir à la recherche de moi-même. »

Dès son arrivée, Claude retrouve « son » pays, sa langue et ses amies d’enfance, comme si elle ne les avait jamais quittées. L’année d’après, elle remplace ses parents à Bangangté. C’est là qu’elle tombe amoureuse du chef du village, François Njiké. Elle refuse ses avances pendant deux ans avant d’accepter de devenir sa femme. «  En m’installant au Palais, je suis devenue sa 26ème femme, mais ça ne me gênait pas car je connaissais les us et coutumes du pays. Au Cameroun, chaque femme a sa maison, ses champs et peut librement circuler où elle veut. C’est une autre façon de voir la vie. Mes parents n’ont jamais accepté ce mariage avec un homme polygame, eux qui avaient lutté toute leur vie contre la polygamie. C’était une négation de leur combat et de leurs convictions.» À tout juste 30 ans, elle est expulsée de la Mission sans préavis, accusée d’être « une honte pour l’église » et se retrouve sans revenus. « J’ai toujours su que j’étais au bon endroit. Mon amour pour le chef n’a fait que s’ajouter à celui que j’éprouvais bien avant pour la terre et le peuple Bangangté qui m’avait vue grandir. »

Quand on la questionne sur son rapport à Dieu, Claude privilégie l’honnêteté, au risque de susciter l’étonnement au regard de son éducation : « Je sais que je ne suis pas maître de mon destin et que je dépends d’un plan d’ensemble qui me dépasse. Mais je n’appelle pas cela Dieu. Et pourtant, j’ai foi en la vie puisque je rayonne et que rien ne m’inquiète dans la vie. Mais je trouverai ça déplacé de prier et de demander des choses. De même, je n’invoque jamais le nom de Jésus car…je ne l’ai pas connu moi-même et que cela ne représente rien pour moi  ! »

Claude reste neuf ans à la chefferie et élève les deux enfants qu’elle a eu avec le chef, Sophie et Rudolf. Totalement acceptée par ses coépouses et l’ensemble de la population, elle vit en symbiose avec sa famille d’adoption. Elle évoque avec respect et admiration le chef des Bangangté qui lui a tant appris. Mais elle reconnaît aussi que la vie n’a pas toujours été facile au contact d’un homme alcoolique et parfois brutal. À mots couverts, on comprend que les blessures psychologiques l’ont également abîmées.

Et puis un jour, sa vie bascule, son mari meurt brutalement. Très digne, elle tient compagnie à ses coépouses pendant la période du deuil, mais décide rapidement de quitter la chefferie et de s’installer « dans un deux pièces au bord du Noun », une manière très humoristique d’évoquer sa maison perdue en pleine brousse. Ainsi, tout en restant sur les terres conquises par les ancêtres de sa famille d’adoption, elle se détache du monde traditionnel bangangté. Une manière de rompre avec son passé récent. À 25 kilomètres de Banganté, au Nord-Ouest du Cameroun, elle construit sa ferme, cultivant maïs, arachides, maniocs, ignames, d’abord seule puis rejointe par ses enfants et de nombreux jeunes qui tentent de cultiver  ces terres vierges. Une houe sur l’épaule et une machette à la main, elle cherche chaque jour à vivre sur cette terre. « Ceux qui viennent me voir dans ma petite oasis doivent se dire que je vis dans une île déserte. On m’a souvent proposé de m’aider à développer ce coin de terre qui m’a pris le cœur. Mais j’avoue que la seule idée de dépendre d’un financement extérieur me donne le vertige. Je préfère vivre comme je peux avec ce que j’ai sous la main, même s’il m’arrive d’accepter les aides amicales et spontanées, comme un ordinateur par exemple ! »

Aujourd’hui, Claude vit au jour le jour en tenant compte des valeurs de la civilisation locale et ne cesse de s’émerveiller au contact de la terre. Avec une seule devise : « Agis d’un seul cœur ».

À LIRE : Agis d’un seul cœur, JC Lattes, 2009.

REPÈRE

1943 : Naissance à Douala au Cameroun

1956 : Retour en France

1974 : Retour au Cameroun comme Missionnaire pour le Defap

1978 : Mariage avec le chef François Njiké

1987 : Quitte la chefferie pour vivre sur les bords du Noun

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